Les pièges de l’union nationale

Face aux crimes du fanatisme, ces derniers jours ont vu fleurir des réactions populaires spontanées qui, de rassemblements en dessins, de bougies en paroles, ont su mêler à la douleur du deuil le réconfort, l’espoir et la combativité pour des valeurs dignes d’être défendues. La société civile française, bientôt imitée partout dans le monde, a montré sa capacité de résilience. Nous avons tous ressenti le besoin de nous retrouver, de nous regarder, de nous tenir près. Et sans doute, de marcher ensemble, partout, comme une impérieuse nécessité. Mais pas dans l’« union nationale ».

Certes, les circonstances inspirent à tous la volonté de dépasser les clivages habituels, l’espoir que les valeurs humaines que nous avons en partage permettront pour une fois de nous rassembler. Les foules massées place de la République mercredi 7 janvier en démontrent déjà la possibilité. Mais cette union du peuple ne saurait être confondue avec l’ « union nationale » telle qu’elle est proposée par une large part de la classe politique. Alors que nous sommes si nombreux à nous engager dans cette démarche avec sincérité, d’autres attendent en embuscade de récolter les fruits du choc et de la peur. Ne laissons pas les larmes nous obscurcir la vue. Ne suspendons pas notre faculté de penser au prétexte d’une situation exceptionnelle qui rendrait les différends caducs ou futiles.

Ainsi le principe d’union nationale doit être remis en cause. D’abord parce qu’il prépare le terrain pour un raidissement liberticide du régime, ensuite parce qu’il sera utilisé pour réduire au silence non seulement la critique des problèmes majeurs qui disloquent notre société – économiques, sociaux, démocratiques – mais également les oppositions politiques qui s’y expriment.

La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage

Il est d’abord frappant de constater à quel point la situation actuelle semble propice à l’affirmation des pires contradictions en toute impunité, comme si elle autorisait tous les retournements de sens. Ainsi, le gouvernement appelle de ses vœux l’union nationale au-delà des considérations partisanes, mais en exclut le Front national… sans pour autant s’émouvoir de la présence annoncée à la manifestation de ce dimanche du Premier ministre hongrois Viktor Orban. Il encense la défense de la liberté, mais Manuel Valls annonce d’ores et déjà de nouvelles atteintes aux libertés individuelles via le renforcement de lois antiterroristes.

Le terme même de manifestation pour la marche de dimanche est une imposture : il s’agit, dans ses modalités d’organisation, ses invités, sa nature même, d’une cérémonie officielle d’État plus que d’un rassemblement populaire. D’où il sont, les anars de Charlie doivent rire jaune. Alors que l’anesthésie du choc est utilisée contre le peuple, il est essentiel d’analyser ce que signifie aujourd’hui l’union nationale, non dans son principe seul, mais dans sa réalité concrète, afin de comprendre, au-delà des discours, l’avenir que l’on nous réserve.

L’état d’exception

Le pire, sans doute. Car l’union nationale prépare toujours l’entrée en « guerre » – comme en 1914 lorsque Raymond Poincaré proclama l’ « union sacrée » face à l’agression allemande. Le terme est déjà dans toutes les bouches, politiques et médiatiques, pour montrer tout à la fois son émoi et sa fermeté, car il est toujours de bon ton de surenchérir face à l’horreur toute nue. Or, qu’il s’agisse d’une guerre contre un État extérieur ou contre un « ennemi intérieur », l’union nationale signale toujours la suspension du politique dans la violence.

Et nous savons bien ce qu’en l’occurrence cette entreprise idéologique prépare : l’entrée en guerre contre un terrorisme teinté de religiosité afin de sauvegarder une soi-disant nationalité, ce n’est rien d’autre que s’engager dans un choc des civilisations. C’est fonder le peuple sur des mœurs ou des modes de vie plutôt que sur des lois, des valeurs et des possibles. C’est importer la suspicion et la discorde sur le territoire en lui donnant un caractère indépassable. C’est préparer la guerre civile en invoquant son vocabulaire. Et c’est surtout préparer l’état d’exception sous les auspices d’une fausse communion.

Les déclarations de Manuel Valls annoncent ainsi l’élaboration d’un nouvel arsenal répressif : on entrevoit déjà une version française des les lois liberticides du Patriot Act promulgué au lendemain du 11 septembre 2001 aux États-Unis, dans le consensus artificiel de « l’union nationale ». Les citoyens américains en paient encore aujourd’hui le prix fort. À un peuple apeuré on peut tout faire avaler, parce que son jugement est comme rompu. Le jugement personnel, comme le jugement collectif. Qui décidera des mesures à prendre pour faire face à cet état de crise, si tant est qu’il y en ait un ? Le pouvoir en place, de manière unilatérale, au prétexte de l’union nationale dont François Hollande serait, en tant que chef de l’État, le garant ? N’est-ce pas plutôt à la société d’en débattre dans la confrontation et la pluralité ?

L’union nationale dans l’état d’exception empêche de penser le passé, le présent et l’avenir. D’interroger les causes pour en choisir les conséquences. Sa temporalité blanche empêche au débat politique de reprendre prise rapidement, lui qui pour le salut de la démocratie ne devrait justement jamais s’arrêter.

Des mesures d’exception procède toujours une spirale dépressive : la rupture du pacte républicain tissé de libertés publiques cède la place aux réflexes communautaires. Une séparation irréparable a lieu. La peur de l’autre, plus que la question sociale, finit par structurer, de manière ou plus moins visible mais de façon inexorable, l’ensemble de la société. Le cauchemar politique s’étend.

Rappelons que les fanatiques auront gagné non pas quand ils auront pris le pouvoir sur nos régimes politiques, mais quand ils nous les auront rendus insupportables à vivre.

La dénégation des structures sociales

L’artificiel unanimisme de l’union nationale ne saurait donc nous empêcher de poser les problèmes auxquels elle prétend répondre par le déni. Conséquentialiste, il empêche de se pencher réellement sur les causes. Parmi elles, il y a bien évidemment les divisions qui justement gangrènent de plus en plus une société déliquescente, sèche, suffocante. Sans avenir commun. Où la crise économique s’est transformée en vaste démission civique.

L’union nationale ne doit pas nous faire oublier cette vérité simple : qu’on ne saurait forger une quelconque société dans l’exaltation de la concurrence libre et non faussée, dont Marx disait au juste titre qu’elle était une forme de guerre civile. Que rendre les vies précaires par l’instabilité croissante du capitalisme génère amertume et rancœur profondes. Que la libéralisation sans fin des capitaux accentue des inégalités qui rendent les gens de plus en plus étrangers les uns aux autres.

Piketty ne dit pas autre chose dans son récent ouvrage : la rentabilité patrimoniale augmente plus vite que le rendement salarial, transformant ceux qui n’ont pas d’héritage en hamsters isolés dans leur roue, sans espoir d’en sortir jamais et courant jusqu’à la mort dans une circularité absurde. L’économiste annonce la fin de la fiction méritocratique et les troubles démocratiques que cette perte occasionne. Pour le dire autrement, même avec la meilleure volonté du monde, la possibilité d’améliorer son sort personnel relève aujourd’hui de l’arbitraire le plus total. Dans son ouvrage paru en 1944, Karl Polanyi nous mettait lui aussi en garde : « Notre thèse est l’idée qu’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert. » Et le désert progresse chaque jour un peu plus.

Faut-il alors vraiment chercher dans le parcours des trois assassins une hypothétique logique intrinsèque de l’islam, ainsi que certaines flèches hystériques, à l’instar d’Yvan Rioufol, nous y incitent en demandant expressément aux musulmans de se désolidariser publiquement des attentats meurtriers perpétrés sur notre territoire ? Rappelons d’abord que ce serait verser dans un amalgame odieux dont seule la religion musulmane est la cible : a-t-on demandé aux catholiques de se désolidariser d’Anders Behring Breivik lors de la boucherie d’Utoya, accomplie au nom des valeurs chrétiennes d’après son auteur ? Ensuite que ce serait être bien oublieux du principe de laïcité qui nous commande de ne pas reconnaître et donc de ne pas exiger de quelconques prises de positions politiques de la part des religions. Enfin que c’est avoir une lecture négligente, à dessein, des structures sociales.

Amédy Coulibaly et Chérif Kouachi se sont rencontrés puis radicalisés en prison. Dans une zone de non-droit où s’entretient une haine virulente contre une société dont eux aussi sont pourtant les héritiers. C’est à la misère et la prison qu’il faut donc, d’abord et avant tout, demander des comptes. L’une comme l’autre entravent l’avenir individuel. L’une comme l’autre sont synonymes de relégation sociale, de désintégration et au bout du compte, de déshumanisation. Et l’une et l’autre se suivent et se renforcent. Pris dans la misère, on tente de survivre, traité comme un esclave. Pris dans la prison, on tente de garder la volonté de vivre, traité comme un chien.

Les trois assassins djihadistes sont par ailleurs allés à l’école en France. Peut-être serait-il bon de nous interroger sur notre système scolaire, de remettre en œuvre une vraie politique de brassage social ; en obligeant par exemple les parents à mettre leurs enfants dans les établissements les plus proches de chez eux, à rebours des politiques d’assouplissement de la carte scolaire menée ces dernières années, qui mènent évidemment à une induration précoce de la stratification sociale.

Le surinvestissement politique du religieux

Pour autant, le retour du religieux politique observé ces derniers temps dans nos sociétés sécularisées n’est-il pas tout simplement la rançon d’un monde où le politique s’est peu à peu défait dans le nihilisme néolibéral et ses réflexes autoritaires, le paradigme désespérant du There is no alternative, jusqu’à devenir une vaste farce dont l’union nationale semble aujourd’hui le parachèvement complet ? « La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état des choses où il n’est point d’esprit », écrivait Marx.

Il ne parlait pas seulement de la misère matérielle, mais de la misère politique qui règne dans un monde glacé dans les eaux du calcul égoïste et entièrement soumis à la loi « sans âme » de l’accumulation. Un monde où l’homme aliéné cherche ailleurs son salut, dans la reconnaissance hypothétique de figures divines et la doxa des vérités révélées. Pour les jeunes déclassés, les revendications religieuses sont aussi « une manière de retrouver un pouvoir sur soi et de réorganiser sa dignité », comme le rappelait la sociologue Nancy Venel.

Néanmoins, ce qui menace le vivre ensemble et la paix n’est pas la croyance religieuse en tant que telle mais le fait qu’elle soit réinvestie en substitut politique aux mensonges de la société du spectacle capitaliste. Cette menace surgit au moment où le magistère moral des religions se transforme en velléité politique de façon plus ou moins brutale, du Printemps français vomissant le mariage pour tous dans une condamnation larvée de l’homosexualité, ou des djihadistes exaltés décimant des vies pour insulte au Prophète ou, à l’image de l’État islamique, impiété générale. Dès ce moment, elle excède la frontière entre vie privée et vie publique définie par le principe de laïcité en vigueur depuis 1905 en France.

Choisir la fraternité républicaine

Plutôt qu’à l’union nationale, les pouvoirs publics auraient donc mieux fait d’en appeler au sursaut républicain : de prendre des mesures pour ouvrir à nouveau le territoire du politique, pour y rassembler tous les citoyens de ce pays, quelle que soit leur confession, leur croyance philosophique où leur appartenance sociale. Une constituante, pourquoi pas. Ou autre chose. Par exemple un grand débat sur l’égalité politique et l’égalité sociale (plutôt que sur l’identité nationale).

Éveiller les consciences, argumenter les discours, organiser la controverse ; ouvrir une constituante, lancer des états généraux, convoquer de nouvelles élections, peu importe. Mais retrouver des temps politiques, des temps sauvegardés de l’isolement économique, du « désencastrement », pour parler à nouveau comme Polanyi. Faire vivre les différences en les confrontant sereinement dans le périmètre de la res publica – et non les taire dans un consensus obligé.

Parler aussi de l’amour et du bonheur. À la politique, mêler une poétique. Pour, comme le dit si bien François Morel, « reboiser l’âme humaine ».

Clément Sénéchal

15 réflexions sur « Les pièges de l’union nationale »

  1. Je souscris à une large part de votre texte. Pourtant quelque chose me manque. J’ai été élevé dans une famille, hélas, favorable à la vision du monde des catholiques traditionalistes. j’ai assisté, enfant, à certaines réunions de ces souriants sectaires. Ils ne sont pas pauvres, ils ne sont victimes ni du capitalisme, ni du racisme, ni de l’exclusion. mais ils se croient investis d’une mission. Et pas n’importe laquelle. Une mission divine. Pensez un peu. Ils n’ont toujours pas digérés la Révolution, ni les guerres de Vendée. Aujourd’hui ils regagnent du terrain. Côté Musulman, ce genre d’excités existent également. J’en ai côtoyé, au Maroc comme en France. Non tout n’est pas que la faute du capitalisme. Le fantasme de la cité céleste, l’esprit de tribut, le pouvoir patriarcal, la quête de sens et donc d’un Sens métaphysique de l’Histoire, la peur du vide etc… il u a bien des ressors psychologiques qui expliquent cet extrémisme. L’injustice sociale ne fait, me semble-t-il, qu’en favoriser l’expression, elle ne la crée pas.

  2. Merci pour cette clairvoyance ! C’est tout à fait ce que je pense. Les événements qui viennent de se produire montrent de manière éclatante les contradictions du régime libéral : le laisser-faire généralisé abandonne les individus à eux-mêmes et les oblige à se défendre par la violence morale et physique. Le danger aujourd’hui est qu’il y a deux choix possible pour régler ces problèmes : soit la fraternité et l’égalité républicaine (véritable), soit la guerre de tous contre tous. Je vous laisse deviner quel est le discours dominant aujourd’hui.

  3. Merci Monsieur!!! çà fait du bien, un souffle d’air frais au milieu de cet unanimisme gluant et visqueux qui rendait l’atmosphère légèrement irrespirable…je ne partage pas toutes vos conclusions (la plupart, cependant) mais peu importe, vous au moins vous n’avez pas renoncé à votre capacité de penser par vous même, merci encore…

  4. Merci, de la clairvoyance dans cet agitation médiatique… Je me permet de partager votre texte, car il interroge et répond en partie à mon questionnement sur le pourquoi ? Que faire ??? Récupération politique, les droits de certains et les interdits des autres…. Ce n’est pas une union mais bien une illusion… Pourtant ne peut vraiment rien faire d’un tel rassemblement solidaire ??! Merci de penser autrement…

  5. Salut, y’a deux bouquin d’A.K. Cohen en rapport avec ce que tu dis sur la dénégation des structures sociales (paragraphe 5 et 6) : La Déviance (1966) et Delinquent Boys : The Culture of the Gang (1955).

    Il y explique que ce qu’il appelle des « sous-cultures déviantes » apparaissent au fil des interactions sociales, et visent pour les individus à trouver des solutions à un ensemble de problèmes divers. Ces problèmes sont de s’assurer des conditions matérielles de vie, d’obtenir de la reconnaissance et du respect d’autrui, d’entretenir des relations sociales, etc. Il insiste donc sur le fait qu’il n’y a pas de différence entre les fins visées dans le cadre d’une « sous-culture » et les fins promues et valorisées par la société. Cette injonction puissante de la société fait que lorsque les individus ne réussissent pas à satisfaire ces exigences par les moyens socialement reconnus (école, travail, etc), ils sont conduis à innover, à chercher des moyens nouveaux pour arriver à ces fins. Si l’échec persiste, les individus vont connaître des tensions, des frustrations, du ressentiment, de l’humiliation (culpabilité ou anxiété). C’est à ce moment là que la contradiction entre une pression au conformiste par la société et une expérience professionnelle vécue comme insupportable se montre.
    Selon Cohen c’est pour rendre supportable (vivable pourrait-on dire) ces situations que les individus vont modifier leurs cadres de référence et transformer leurs systèmes de valeurs, d’où il s’en suit l’élaboration en commun d’une sous-culture spécifique aux individus qui vivent ces expérience. Cette sous-culture est une solution à un problème, elle n’existe pas seulement sur le plan des idées, elle est avant tout un phénomène pratiques. Elle apporte une ou plusieurs justifications aux conduites qui vont progressivement se développer, elle permet de souder des individus (protection, solidarité), et elle donne des moyens symboliques pour surmonter des difficultés d’une situation vécue comme problématique.

    Dans « Delinquent Boys », il analyse la délinquance juvénile (qui dans les années 1950 fait figure de véritable problème social aux Etats Unis, en témoigne le cinéma de l’époque et le nombre de publications, comme celle justement de Cohen) à la lumière de sa théorie. L’analyse qu’il fourni est – il me semble – tout à fait éclairante.
    Il y explique que ce qui caractérise la jeunesse caractérisée par de forts taux de délinquance est qu’elle est d’origine populaire, et que cette jeunesse expérimente des relations sociales dans un cadre qui devient obligatoire dans les années 1950, celui de l’univers scolaire. Or cette jeunesse y est complétement dominée, notamment par les classes moyennes : tous les jeunes sont confrontés aux mêmes critères de sélection et aux mêmes exigences de la part de l’institution sans considérations de leurs différences sociales : mêmes attentes de rôles, mêmes exigences de normes, alors que les socialisations et les ressources des jeunes des classes populaires ne les ont pas préparé et ne leur permettent pas de répondre à ces critères. Donc cette jeunesse populaire se retrouve dans une situation objective de subordination dans le domaine scolaire [La sociologie de l’école confirmera ou amendera l’analyse de Cohen ensuite].
    Face à cette situation, ces individus ont le choix entre (i) l’acception, qui revient à faire allégeance à l’institution et au groupe qui la domine, tout en sachant que cette subordination les condamne à accepter leur domination, car ils ne gagneront pas la compétition scolaire, (ii) le refus du conformisme ou du ritualisme, qui est un refus de la domination, et alors ils innovent dans les moyens de parvenir aux fins fixées par la société (réussite personnelle, reconnaissance, aisance matérielle, etc.)
    Cohen donne ensuite une typologie des formes de la délinquance, distinguant (a) la forme criminelle (la sous culture délinquante prescrit du déviance qui prend la forme par exemples de vols utilitaires), (b) la forme conflictuelle (la sous culture l’instrumentalisation de la violence contre la société, (c) la forme retrait (la sous-culture valorise des modes de vie opposés aux mode de vies « conventionnel »).
    Il explique alors que les différences d’orientation dans les conduites (ie les formes de la déviance) ne tiennent pas tant aux individus, puisqu’il ils connaissent tous des problèmes d’adaptation. Le problèmes tient donc à la structure des opportunités qui s’offre à eux (c’est à dire que la société leur offre).

    Tout cela – me semble-t-il – rejoint ce que tu dis :
    « C’est à la misère et la prison qu’il faut donc, d’abord et avant tout, demander des comptes. L’une comme l’autre entravent l’avenir individuel. L’une comme l’autre sont synonymes de relégation sociale, de désintégration et au bout du compte, de déshumanisation. Et l’une et l’autre se suivent et se renforcent. Pris dans la misère, on tente de survivre, traité comme un esclave. Pris dans la prison, on tente de garder la volonté de vivre, traité comme un chien ».
    Pourquoi ces individus, ont-ils choisis la voie du « soldat de dieu » pour accéder à la reconnaissance, avoir le sentiment de réussite personnelle? Certes, ils ne sont pas nos héros et ils ne doivent en aucun cas l’être nos héros, mais est-ce à dire qu’ils ne sont devenus les héros de personnes sur cette terre, que de par leur actes terribles ils n’ont pas atteint en partie certaines fins que notre société valorise (reconnaissance de la part de certains groupes et sentiment de réussite personnelle)? Le drame dans cette affaire – qui ne se substitue pas à l’horreur qu’ont été ces attaques – c’est peu être aussi que la société dans laquelle nous vivons – inégalitaire – et sa dynamique néolibérale ont fait que pour atteindre ces fins que nous poursuivons tous, ces individus ont du [et j’insiste sur le « du », à la suite de Cohen, pour souligner la nécessité sociale] recourir à de tels moyens [absolument condamnable encore une fois, qu’on ne me reproche pas un quelconque relativisme].

    Sur ce, je suis tout à fait d’accord avec ton texte. J’ajoute juste une interrogation. Le Monde titre : « Contre le terrorisme, la plus grande manifestation jamais recensée en France ». Je ne voudrais pas piquer les références de Rosanvallon, mais le paradoxe de Bossuet qu’il note (« Dieu se ri des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ») me permet de poser cette question : à quand 4 millions de personnes dans la rue pour marcher contre les inégalités sociales sous toutes leurs formes? Ne serait-ce pas également une manière de défendre la liberté, la démocratie, et toutes les valeurs que les manifestations d’hier et d’aujourd’hui ont souhaité avec raison incarner et porter?

    A bientôt

  6. Merci, merci,
    Enfin un peu d’air, de réflexion au milieu de cet océan de réactions de type « tripes de comptoir » qui déferle via la très grande majorité des médias de la presse radio, audiovisuelle, écrite (papier ou en ligne).
    Avec vous et d’autres commentateurs, ici, on se sent moins seul et peut-être moins c.. .

  7. « Reboiser l’âme humaine » c’est vrai que c’est joli comme expression et semble inviter à plus de hauteur par rapport à toute cette violence.
    Ayant lu le texte attentivement, j’ai noté la référence « Orwelienne » « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage » .pour rappel, la pierre angulaire de ce magistral roman d’anticipation qu’est 1984 d’Orwell est basée sur la capture et la redéfinition du langage (novlangue) par l’autorité omniprésente et omnipotente dans cet état ou la propagande de guerre est permanente. Trois blocs veulent s’en approprier un quatrième de façon alternative et débile. Pour arriver à ce perpétuel état d’urgence le langage est donc contrôlé, déformé, expurgé des mots pouvant faire naitre encore un peu de subversion.
    Alors avant même d’avoir une âme l’être humain a une conscience, l’âme n’est qu’une conséquence de la religiosité. Son existence ou non est en partie déterminée par la coutume, le lieu de vie, sa culture etc.il sera plus fréquent d’embrasser une religion si l’on est issu d’une famille déjà dans une des différentes confessions existantes, parfois elle sera même imposée, court-circuitant ainsi le libre arbitre. L’inverse peut se produire mais il me semble plus rare.
    La conscience et le discernement de tout un chacun, eux, sont souvent pris dans les filets de la doxa médiatique, j’ai dimanche soir entendu parler d’islamo fascisme. Pourtant depuis trop longtemps nous citoyens, nous sommes soumis au discours de quelques-uns (relativement toujours les même). Cet intégrisme médiatique qui n’est même plus subliminal, bien au contraire, la fixité d’une image pendant des minutes qui se cumulent en heures, une scène inlassablement repassé avec ses commentaires a l’intonation et le vocabulaire prédéterminé comme un psaume un mantra. Toute Cette liturgie médiatique constitue le nouveau dogme dominant du 21 éme siècle qui ressemble malheureusement beaucoup à ce « miniver »(ministère de la vérité) Orwellien , ou l’essentiel n’est pas de se souvenir autrement que par ce que l’on nous impose ni de comprendre mais de réagir sur le champ et de suivre le courant.
    C’est la conscience qui a besoin d’entretien, le discernement et la pertinence qui doivent êtres éveillés, affutés et encouragés plutôt qu’abrutis, avilis, étouffés comme c’est le cas actuellement par le biais de prises de position idiotes et précipitées, des discours improvisés et creux. « Reboiser l’âme humaine » ???Pour ma part je souhaite déjà que la stérilisation des consciences ne soit pas trop entamée, que la pensée s’essaime encore en de multiples écoles que le champ des possibles de la pensée ne soit pas clôturé par une grandeur d’âme trop présente. Qu’il y’ait autant d’arbres qu’il en faut dans ces champs comme des points de repères a la marche de la pensée éclairée et lucide.
    Pour ce qui est de la démocratie pour l’instant on est loin du commencement d’un début de quelque chose en matière de participation réelle du peuple dans les débats publics. L’idée d’une démocratie participative n’a pas fait long feu Depuis quelques années maintenant le divorce semble consommé entre la population et les élites qui les gouvernent, et de quelques couleurs politiques que ce soit. Chaque taux d’abstention le souligne. Je vous livre cette réflexion que peut-être d’autres auront eu. Nous avons les moyens technologiques de connaitre globalement et rapidement une prise de position sur un sujet donné, je pense au vote électronique par ordinateur ou téléphone (les deux objets se confondent aujourd’hui).certains tirent à boulets rouges sur les fonctionnalités d’internet, pourtant ils l’utilisent tout de même, la dématérialisation va en grandissant, les impôts se déclarent en ligne, des demande de documents administratifs également etc., etc. Nos dirigeants sont-ils prêts à l’apparition d’opinions non prédictibles sur les bases actuelles des sondages. Là est la question.
    Peu sont ceux qui se sentent concernés par la politique actuelle. Une politique de boutiquiers tenue par une oligarchie dirigeante sourde et aveugle aux aspirations des français.il aura fallu qu’une situation extrême arrive pour que, comme après un électrochoc les consciences s’éveillent à nouveau. Pour ce qui est de la situation actuelle comme en écho à 1984, je ne peux que constater la débauche de superlatifs dans les propos des medias dominants. L’immédiateté est de mise, le tweet est nerveux et irréfléchi, le discours est lapidaire et choquant. C’est le dogme des medias dominants qui pétri l’opinion et lui seul pour l’instant.
    CHARLIE hebdo n’en faisait pas parti de cette sphère des medias dominants, son tirage en est la preuve. La liberté d’expression que l’on semble chérir plus que tout aujourd’hui, a pourtant été refusée a d’autres il y’a tout juste un an, je parle bien sûr de Mr Dieudonné. Pas d’excuses que je sache de la part de personnalités de la communauté juive après les bombardements israéliens de l’été dernier. Pas autant d’émoi aux propos de M Zemmour concernant la communauté musulmane, que lorsque l’on stigmatise la communauté juive. Plus de retenue, dans l’indignation lorsque la communauté africaine ou encore celle des gens du voyage subit des propos ou des attitudes plus qu’insultantes.
    L’indignation, la justice, l’équité est encore plus que jamais à géométrie variable, elle se dirige selon l’aiguille de la boussole de l’intérêt, de la loi du marché, de l’offre et de la demande, de la loi du plus fort.
    François.

  8. merci pour cette réflexion.
    Je ne savais pas que François Morel avait repris ces mots , mais c’est Julos BEAUCARNE qui avait avant lui lancé cet appel dans sa « lettre ouverte » à l’assassin de sa femme:
    « Il faut reboiser l’âme humaine »
    claro que si!

  9. merci pour toutes ces reflexions.
    Je ne savais pas que François Morel avait reprit
    ce « reboiser l’âme humaine ». Pour info c’est Julos Beaucarne qui l’avait avant lui écrit dans sa « lettre ouverte » à l’assassin de sa femme.

  10. Bonjour,
    Tout d’abord, permettez-moi de manifester mon enthousiasme face à la qualité non seulement de cet article, mais aussi de la plupart des commentaires. Les ressemblances troublantes entre l’appel à « l’unité nationale » et un état de guerre, les menaces que représentent les lois anti-terroristes sur notre vie privée sont en effet alarmantes. Cependant, sachez que j’ai participé à la marche républicaine à Paris ce dimanche. Peut-être était-ce, en partie, sous le coup de l’émotion. Mais j’étais aussi consciente de la nécessité de « faire passer un message », d’apporter ma présence comme on apporte son vote. Pour moi, ceci était une occasion de manifester contre tous les fascismes en général (je suis par ailleurs soulagée du fait que le Front National ait été exclu de cette marche), avec par-dessus tout l’espoir de provoquer un sursaut républicain, un réveil national qui aboutirait à un foisonnement de débats. Quelle n’a pas été ma déception lorsque, consultant des média différents, j’ai réalisé que tous étaient unanimes concernant la cause de l’attentat : un manque de sécurité. Or les causes de cet échec sont multiples : manque de sécurité, oui, mais bien plus au sein de la société qu’en matière d’armes. J’ajouterais qu’il y a urgence à consolider les mesures sociales, urgence à réduire les inégalités sans se laisser aller au pragmatisme égoïste, urgence surtout à réformer _ en profondeur cette fois _ le système éducatif.
    Un autre problème est le manque d’activité citoyenne. En effet, comment relancer des débats alors qu’il n’y a plus véritablement de lieux d’échange ? Peut-être avez-vous une réponse à apporter à cela. Faut-il aller dans le sens de la modernité ? Internet peut-il être le lieu de débats réfléchis ? Si la société a changé et que les gens ne discutent plus dans des réunions véritables ou dans les lieux publics en général, peut-être Internet peut-il prendre le relais de ces lieux délaissés ? Se pose aussi la question d’un équilibre entre le trop et le trop peu : la démocratie doit partir de la base, certes, et tout le monde doit s’exprimer, mais comment entendre des voix distinctes au sein de cette cacophonie ?

  11. Salut, en tombant sur cet article, il est bon de réaliser qu’on est pas tout seul à se dire que la musique qui marche au pas cela ne nous regarde pas, pas tout seul à en faire un, de pas, de côté pour s’extraire des mythologies négatives. Je vous poste ci-dessous le lien d’une chanson écrite sur la mascarade de l’unite nationale par un pote et moi-même. N’hésitez pas à partager si ça vous plaît, c’est sous creative commons, c’est pas fait pour faire des sous ! http://youtu.be/3OPFtLSZlVc

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